Friday, November 13, 2009

Dionisiaque partition

pour un chant à une voix

Voici quelques grappes flétries suspendues à un câble qui court devant la façade défraichie d'une Villa sofiote. Belle apparition pour qui aime lire entre les lignes...
Cette écriture musicale d'une autre nature ne semble-t-elle pas chanter à sa manière un des petits poèmes en prose de Baudelaire : "Enivrez-vous" ? Entendez-vous le vent murmurer entre les grappes : "Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise." ?
L'ennemi, aux yeux de Baudelaire -et aux nôtres- a toujours été le Temps qui passe. Ainsi, pour fuir sa propre condition de mortel et se donner l'illusion de suspendre un instant la seconde assassine qui nous rapproche inexorablement de la fin, l’ivresse est la solution ! Sous la plume de ce grand poète, elle va même presque prendre des allures de noblesse morale.
Dans les rues de Sofia, il n'est pas rare de voir de belles grappes mûrir devant les grilles des maisons. La vigne part à l'assaut de tout ce qu'elle trouve dans son envolée lyrique et les câbles en tout genre s'en trouvent fort chargés. "Enivrez-vous !" La métaphore est belle dans ce pays où les gens apprennent à retrouver le goût de la liberté : Oubliez le sceau du temps sur vos vies, et osez désirer, osez aimer, osez sourire, osez vivre, Messieurs-Dames !

Remarque anodine : Si cela pousse aussi bien en ville, imaginez dans les campagnes ! Dionysos se sent très bien dans ce pays et le vin bulgare est un nectar.

Partition complète pour le plaisir

Il faut être toujours ivre. Tout est là : c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.

Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge vous répondront : « Il est l'heure de s'enivrer ! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. »

Charles Baudelaire
"Enivrez-vous", Petits poèmes en prose, 1862.

Vigne possessive et couverte de grappes noires,
prise depuis les barbelés (zoomer) !

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Rue Han Asparuh , début novembre 2009, 14°C.

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