Wednesday, September 9, 2009

Le grand jeu

de la vie

Ici, La Mort n'est pas tabou, pas anonyme non plus ! Elle flirte sans cesse avec la vie et porte les noms et prénoms, les âges et les visages de ceux qu'elle vient d'entraîner dans sa danse macabre, cette grande sarabande où les uns donnent la main à ceux qui viennent de "s'envoler" et déclinent ainsi leur ribambelle à l'infini, dans l'Infini tout là-haut.
En bas, les portraits de Ses derniers partenaires de danse sont placardés partout dans les rues, sur les poteaux électriques ou ceux des arrêts trolley-bus, collés sur les gouttières ou sur les murs aux peintures fatiguées, punaisés sur les arbres au tronc massif ou scotchés sur les portes vitrées des entrées d'immeuble. On peut aussi tous les retrouver sur les panneaux dédiés à cet effet à l'entrée des églises, comme autant de petits pense-bêtes illustrés... Partout on reconnaît la croix et juste en-dessous le portrait en couleur ou en noir et blanc du candidat pour l'ultime voyage. On devine même leur âge (pour ceux qui ne lisent pas encore le bulgare) et s'en suivent quelques mots, certainement une prière ou un texte explicatif sur la commémoration de l'âme envolée. Etrangement, ces avis funèbres passent inaperçus pour ceux qui ne connaissent pas le "code" ! A chacun ses clés, donc ! Pourtant, dès qu'on nous les remet, ces avis se montrent à nous, et sont partout.

Ces affichettes traversent plus ou moins bien les assauts du temps et subsistent jusqu'à l'effacement complet. Cette façon de s'estomper doucement est symboliquement très forte puisque c'est une manière de s'évanouir sans bruit sous les yeux de ceux qui continuent de vivre avec fureur, rage et tempérament, qu'ils rient avec des amis, qu'ils marchent d'un pas pressé ou parlent à leur téléphone, qu'ils hélent un taxi ou attendent le tramway, qu'ils négocient un bouquet de fleurs du jardin à la petite vieille assise sur un bidon en plastique à l'angle de la rue ou qu'ils jouent aux échecs sur un damier de marbre dans le parc municipal de la ville inondé des derniers rayons solaires.
Il s'agit donc bien de dédramatiser l’inéluctable, car la Mort est omniprésente : elle nous habite et on la voit sans la reconnaître. Le temps continue son labeur et creuse, sillon après sillon, les repères des jours qui passent. Oui, nous sommes mortels et oui, nous allons mourir. Voilà pourquoi, au-delà du célèbre “Vanité des vanités, tout est vanité” de l’Ecclésiaste, il faut continuer de clamer comme Corneille nous l’a légué dans l'Illusion Comique : « Viva la Commedia ! », ou de chanter le véritable Carpe Diem d’Horace, voire de danser à la manière des danses macabres, un nouveau Memento Mori, « Souviens-toi que tu vas mourir », le même « Souviens toi » chuchoté 3600 fois chaque heure par la seconde dans L’Horloge baudelairienne.

Tempus fugit, le temps poursuit sa course, mais ne manque pas de nous offrir de bons et merveilleux instants que j'aime à croire comme appartenant à cet instant défini par René Char comme « une particule concédée par le temps et enflammée par nous ».

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Sofia, début septembre 2009, 30°C

1 comment:

  1. C'était l'une des premières choses que j'ai remarquées en arrivant Bulgarie, après le fait de ne rien pouvoir lire du premier coup.
    PPenGuyane

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