Sunday, October 11, 2009

Le magicien

du jardin municipal

C'était en début de matinée, du côté de la place du Théâtre. Peu fréquenté, le jardin était encore très calme et le soleil inondait l'endroit de sa lumière. Un quatuor de musiciens tsiganes s'était installé près du marchand de ballons, celui qui collectionne les sourires édentés des enfants émerveillés et enchantés de se voir remettre un peu de légèreté colorée. Ils étaient en train de décrasser quelques notes de leur tuba et violon au moment où nous traversions l'allée pour aller admirer le jeu désynchronisé des jets d'eau à la lumière. C'est là que nous avons croisé un étrange petit monsieur, en costume noir et portant chapeau. Immédiatement, il m'a renvoyé à un personnage malicieux sorti tout droit d'un conte d'Andersen et réécrit par Prévert pour Le Roi et l'Oiseau : un petit ramoneur sans sa danseuse.
(*)
Il aurait tout autant pu faire partie du prestigieux casting d'Alice au Pays des Merveilles et devenir le Gardien du Temps ? Il aurait pu être aussi un Gémini Criquet réincarné à la recherche d'une tête de bois ? Il aurait pu être enfin un Monsieur Loyal dans un cirque d'un nouveau genre où pour lui, dompter des ombres serait aussi courant que d'apprivoiser des nuages tout grognons pour son jardin en plein été. D'où venait-il ? Qui était-il ? Je n'ai vu que son gilet de satin noir aux boutons très brillants et à la hauteur de son plexus, une tête de minotaure -avec des yeux brillants également- qui réunissait les deux cordelettes de sa cravate d'une autre mode. Son visage était lisse et son regard donnait l'impression de sourire en permanence. Je l'ai laissé passer, et tandis qu'il s'éloignait, j'ai observé son beau frac noir, impeccable et sans faux-plis, son pantalon parfait, son petit chapeau rond avec un long ruban qui dansait doucement sur la nuque à chaque pas. J'étais intriguée, d'autant qu'il tenait à la main une longue baguette toute noire, toute fine, qui me faisait penser à un goupillon de ramonage.
Il est passé devant les musiciens et les a salués discrètement. Ils lui ont répondu et ont cessé de jouer, l'un d'eux a même couru vers lui pour lui caresser le dos comme s'il avait été bossu. Le petit monsieur au frac noir et à la baguette moustachue lui a souri et sans un mot a poursuivi sa marche. Je le voyais partir, alors je l'ai suivi de loin, pour essayer de comprendre qui il était, avoir un indice. J'ai tenté de le prendre en photo sans qu'il me voit, pour ne pas le gêner non plus. Il continuait de traverser le jardin. Il s'engageait sur la place du théâtre et deux jeunes filles, assises sur un banc, l'ont appelé de loin. Il s'est approché d'elles et pour chacune, a doucement posé sa main sur leur tête... Cela m'a vraiment intriguée mais j'avais aussi un peu peur. Alors je l'ai laissé partir et poursuivre son voyage.
Sa petite silhouette ramassée a disparu dans le paysage. Qui est ce petit monsieur en frac et à la baguette moustachue ? Un enchanteur, un magicien, un porte-bonheur ? Il faut que je me renseigne. Il m'a laissé une forte impression, c'est peut-être bien un des personnages du folklore des Balkans, le dompteur des ombres ou le gardien du temps ? Le ramoneur symbolique des souvenirs perdus appartenant à un peuple qui a sacrément souffert à travers les siècles ?


* Affiche du film "Le Roi et l'Oiseau", film d’animation réalisé en 1980 par Paul Grimault, dialogues de Jacques Prévert, d’après le conte La Bergère et le Ramoneur de Hans Christian Andersen.

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Place du Théâtre - 10 octobre 2009, 18°C.

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