Sunday, December 13, 2009

Couleurs d'hiver

sur les étals
La famille de Goliamo et Malko, les radis rendus célèbres par Patatnik le mois dernier, est plus que jamais présente sur cette table, certains en smoking noir et d'autres en smoking blanc. Devant eux, des sachets de potiron épluché et débité en gros morceaux réchauffent de leur bel orange de mars cette Conférence des Légumes hivernale. On peut les utiliser pour la soupe ou la purée, mais nous, on préfère de loin les tourner en compotes enrichies de quelques pommes bulgares et de lamelles de gingembre frais. Du nanan !

Dans la palette des couleurs chaudes, on relèvera également la présence dominante de... liasses de 10 en poivrons aplatis comme des crêpes, sans pour autant avoir été repassés et tous, emmaillotés d'un élastique coloré. On dirait même qu'ils ont été vernis tant ils brillent. Sont-ce là des réserves pour l'hiver ? Comment les utilise-t-on ? J'aurais tendance à les monter en guirlande pour le sapin, ou mieux, à les mettre sous verre, tant leur couleur authentique est magnifique ! Mais ici, rien que de le penser, cela me paraît être déplacé !
Enfin, en provenance directe des Trois Ours de Boucle d'Or, à plusieurs dans les grands pots et moyens pots (à couvercle jaune) et en solo dans les petits pots (à bouchon rouge ou bleu), vous sont proposés des légumes de toute sorte plongés dans la saumure. Il n'y a pas de mot en français pour les nommer. Les Anglais parlent de "pickles" et ici, on dit : "tourchia" (Tуршия). Du chou-fleur à l'oignon, en passant par la carotte, le poivron jaune, vert ou rouge, le cornichon "russe" et les petites tomates rouges ou vertes, tout y est. D'ailleurs, en voyant les étages de légumes différents, je me suis souvenue de ceux des conserves de fruits que ma grand-mère préparait durant tout l'été. Contrairement à la tourchia, "la liqueur de jeune homme" appartenait au registre des desserts : elle mettait à macérer dans un grand bocal d'eau de vie tous les fruits de la saison qui poussaient dans son jardin. Placés en strates, il y avait d'abord les cerises, puis les prunes ou mirabelles, les framboises, les groseilles, les fraises, et cela se terminait par quelques poires. Tout les invités macéraient donc gentiment dans l'alcool de fruit, -la goutte de pomme du grand-père, c'était le meilleur !-, en attendant que le bocal se remplisse. Au début de l'automne, ma баба le fermait définitivement avec une feuille de papier sulfurisé et un couvercle métallique et allait le placer -avec les autres- dans son placard des réserves, oublié au fond de l'arrière-buanderie de la cour ! On savait bien qu'il n'en ressortirait qu'un an ou deux ans plus tard !! Les adultes y avaient droit, après le café, en guise de pousse-café. Nous, enfants, à force de réclamer, on y goûtait un peu aussi, dans un verre aussi grand qu'un dé à coudre de nain... Souvenirs ! Ici, ce mélange de légumes saumurés, la tourchia donc, se sert le plus souvent coupés en petits morceaux pour agrémenter l'apéritif.
Rouge garance en liasses, orange de Mars en morceaux et jaune d'or en petits piments saumurés, qui a dit que les couleurs de l'hiver étaient fades ?


____________________________________________
Marché de Graf Ignatiev, 6 décmbre 2009, 6°C.

2 comments:

  1. Merci pour avoir réveillé en moi les souvenirs de l'utilisation de"l'arrière-buanderie". Moi aussi ça me ramène chez ma grand-mère maternelle en Normandie...il y a bien longtemps. Demandons donc à un lycéen d'aujourd'hui ce que sont la buanderie et l'arrière buanderie. Il y a gros à parier qu'il ne saura pas ce que c'est! Mais quand on l'a connue, on ne peut oublier les images de la buanderie: le bac de lavage, la planche sur laquelle on savonnait et frottait le linge, la brosse en crin, le gros pain de savon noir ou le savon de Marseille carré, l'odeur douceâtre du linge qui commence à sécher. Dans un coin, sur un poêle à bois, une bouilloire chantait et la vapeur qui en sortait se mêlait au brouillard tiède qui montait des draps étendus.
    Une petit ray de lumière entrait par le soupirail et donnait "du corps" à toutes ces jolies volutes.
    De l’autre-côté de la porte, dans l’arrière-buanderie, il faisait frais, presque froid. Sur les étagères, comme des soldats au garde-à-vous, il y avait des rangées de bocaux : conserves de légumes sur le front, un détachement de fruits au sirop par ici, un autre de fruits à l’eau de vie par là, et quelques confitures en arrière-garde. Un peu plus bas, doucement allongés côte à côte, vieillissaient quelques « Calva » et « Poiré », tandis que le cidre bouché piaffait d’impatience de faire sauter son collier de fil de fer. En face, sur d’autres étagères, pommes, poires, pommes de terre, oignons et carottes, essayaient de se maintenir en santé ou décidaient d’en finir avant d’être cuisinés.

    Dis-moi, Patatnik, ça existe encore tout ça en France ? Je pense qu’ici, en Bulgarie, il y a encore de tels endroits à la campagne.

    ReplyDelete
  2. Merci Lucile, c'est exactement ça ! Je crois que ces femmes étaient de la même école, l'une en Normandie, l'autre en Picardie ! En te lisant, j'ai retrouvé cette atmosphère de l'enfance et de la campagne. Je me rassure en pensant que la Bulgarie doit encore avoir quelques parfums authentiques comme ceux-là.

    ReplyDelete